La "Crise" en Argentine - Episode 2: Missing the Target
Pour comprendre quel est le modus operandi de la BCRA (Banque Centrale de la République Argentine), il est nécessaire de revenir en arrière et d´expliquer l´historique de la politique monétaire argentine depuis janvier 2024. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la politique monétaire de Milei a d’abord été clairement laxiste, voire hyper-laxiste, notamment durant la première moitié de 2024, avec des taux d’intérêt parfois très négatifs (Fig 1). Ce n´était pas un "accident": l’objectif principal était d’assainir le bilan de la BCRA, afin de s’orienter vers des émissions zéro concernant la base monétaire à moyen terme.
Fig 1. Taux d´interêt réel ex-ante.
Pour y parvenir, après avoir mis fin au financement monétaire du déficit public par la BCRA, l´administration Milei s’est attaquée aux passifs rémunérés (des instruments émis par la Banque centrale pour absorber la liquidité en pesos sur le marché monétaire et remunerés via emission de monnaie). L´objectif était de diluer progressivement ces passifs grâce à une taxe inflationniste en maintenant des taux d’intérêt réels négatifs (Fig 2).
Fig 2. Passifs remunerés par la Banque Centrale (en trillions de Pesos)
Le maintien de taux d’intérêts très bas, conjointement à la remonetisation, a permis de stimuler fortement la création monétaire en Argentine depuis début 2024, fait très souvent très decrié par les économistes autrichiens critiques de Milei (Fig 3)
Fig 3. Aggrégat monétaire M2 em Argentine
Ce n’est qu’une fois ces passifs dilués en Juillet 24 avec le transfert des coûts liés aux titres monétaires vers le Tresor Public (via l’émission LEFIs et LECAPs, mentionnés dans l´episode 1) que Milei a pu libérer des marges de manoeuvre sur la politique monétaire, viser progressivement la stabilité de la base monétaire élargie (Fig 4) et la normalisation les taux d’intérêt réels.
Fig 4. Base monétaire et base monétaire élargie.
Probablement à la suite des discussions avec le FMI, le ciblage monétaire a été revu en Avril 2025 lors de la phase 3 du programme de stabilisation. Un nouvel aggrégat monétaire a été choisi et correspondait à celui que la Banque Centrale considérait comme le plus corrélé aux moyens de paiement et à l´économie réelle: le M2 "Transaccional" qui se compose du M2 détenu par le secteur privé moins les dépôts rémunérés à terme.
La Banque centrale a alors décidé de dévoiler chaque année un objectif de croissance pour M2 Transaccional , en s’appuyant sur ses modèles concernant la demande de monnaie. Un écart significatif par rapport à l’objectif de M2 Transaccional devait provoquer une réaction de la part de la Banque centrale d’Argentine (voir Figure 5).
Fig 5. Cible de M2 "Transactionnel" pour 2025
En termes de choix de l´indicateur, le FMI rappelait qu´il existait un trade-off entre la base monétaire, contrôlable par la banque centrale mais avec une relation plus faible à l’inflation et les agrégats monétaires larges (broad money, comme M2) moins controlables mais plus pertinent avec en termes macroéconomiques.
Six mois se sont écoulés depuis l’introduction du nouvel objectif de la BCRA, et nous pouvons vérifier si la Banque centrale a respecté sa cible. On constate que, dans un premier temps, l’objectif a été tenu (Fig 6). Cependant, à partir d’août, il y a un fort décrochage du M2 privé Transaccional par rapport aux prévisions de la Banque centrale. (Les données d’octobre, déja disponibles à 90% montrent une forte baisse; d’ici la semaine prochaine, je mettrai à jour le graphique.)
Fig 6. Cible de M2 en Argentine
Source: Criteria
Ce phénomène peut être lié à plusieurs facteurs :
- L’énorme resserrement monétaire qui a suivi la libéralisation du taux de change (et surtout) l’échec de la réforme monétaire (voir épisode 1) ;
- L’incertitude préélectorale et la perte de confiance (temporaire ?) dans l´économie
Le ralentissement de l’offre de monnaie reflète une contraction importante du crédit, rompant avec la forte récupération observée jusqu’ici (notamment grâce à la baisse de l’inflation et à la politique monétaire expansionniste), comme nous le montrent les dernières données du rapport monétaire mensuel (Figure 7). (Les données d’octobre devraient montrer une forte baisse ; elles seront disponibles d’ici la semaine prochaine, je mettrai à jour le graphique.)
Fig 7. Prêts aux secteur privé en % du PIB
Il n’est pas inutile de mentionner le fait qu’au milieu de la crise de la fin des LEFIs (voir épisode 1), le gouvernement a semé le doute sur la cible de M2, expliquant qu’elle était juste indicative et qu´ils étaient surtout focalisé sur l´objectif de base monétaire élargie stable. Sur ce critère d’évaluation, l’objectif est complètement manqué: la MBA a augmenté de 17 % en trois mois (notamment du fait de la réponse du gouvernement à la crise des LEFIs./LECAPs détaillée dans le billet précédent de la série).
Le décrochage de M2 par rapport à la cible ouvre une perspective plutôt défavorable pour l’activité en Argentine. Le PIB du deuxième trimestre s’est contracté de 0,1 %, et les données du PIB mensuel disponibles pour le troisième trimestre ne sont pas encourageantes, avec un carry-over de -0,37 % en août. Si la BCRA suit le MTF de manière cohérente, nous devrions avoir une flexibilisation de la politique monétaire sous peu.
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