La dette de la France déjà « pricée » A- par les marchés

Au moment de la dégradation de la note de la dette de la France à A+ par Fitch, certains économistes ont soulevé une « incohérence » entre la notation souveraine de la France et les prix de marché. En dehors de mon propre cas, on peut par exemple citer Eric Dor (directeur des études économiques à l’IESEG School of Management) ou encore un autre économiste cité dans les Echos.

En effet, en prenant les données disponibles sur MTS et en réalisant un graphique (Fig 1) avec les spreads souverains (c’est-à-dire le différentiel de taux avec l’Allemagne) en ordonnées et l’échelle de rating de Fitch en abscisses (considérant que AAA vaut 1, AA+ vaut 2, et ainsi de suite), on se rend compte que le spread de la France surpasse ceux de tous les pays dans les catégories inférieures, à l’exception de la Slovaquie et de l’Italie (et encore, le différentiel n’est « que » de 11 points de base).

Fig 1. Note attribuées par Fitch versus Spread



Comment comprendre ce phénomène ? Cela ne signifie pas pour autant que Fitch a "tort" de placer la France en A+. En effet, les agences de notation sont, par essence, en retard sur la situation macroéconomique. La décision de changer une note est importante, ne peut pas être prise à la légère et attend donc que la détérioration soit plus que confirmée par les données économiques pour dégrader. Cela se traduit économétriquement par le fait que le modèle SRM (Sovereign Rating Model), qui sert de référence pour la notation des dettes souveraines par Fitch, contient 18 variables, dont beaucoup sont calculées en moyenne mobile centrée sur 3 ans. Une moyenne mobile centrée signifie que, pour une année donnée, on prend la moyenne de l’année passée, de l’année en cours et de l’année à venir (en se basant sur les prévisions). Pour le moment, le modèle indique que la note de la France à A+ est correcte. Le détail des variables est resumé dans le cadre ci-dessous:

Fig 2. Les variables composants le modèle SRM de Fitch


Ainsi, la « fonction de réaction » des agences de notation est, pour un tiers, tournée vers le passé, un tiers vers le présent, et un tiers tournée vers l´avenir alors que les marchés sont généralement entièrement tournés vers la précification du futur. L’utilisation de la moyenne mobile centrée signifie qu’à conjoncture économique égale, simplement par la disparition de l’année 2024 en 2026, nous devrions avoir une dégradation mécanique de la note donnée par le modèle.

Le « pricing » de la dette à des niveaux supérieurs à ceux des pays notés A+ signifie que les marchés anticipent (à tort ou à raison) une détérioration supplémentaire des indicateurs macroéconomiques, qui serait compatible avec plusieurs dégradations additionnelles de la dette française.

Pour être un peu plus rigoureux et ne pas se fier uniquement à l’analyse graphique, nous allons utiliser un modèle économique extrêmement simple : une régression linéaire, en prenant les notes attribuées par Fitch (sur une échelle numérique de 1 pour AAA à 9 pour BBB) comme variable dépendante (Y) et le spread comme variable indépendante (X). Nous obtenons un résultat avec un R² très satisfaisant de 0,93 (R² est le coefficient de détermination est une mesure statistique qui indique la proportion de la variance de la variable dépendante (Y) expliquée par les variables indépendantes (X) dans le modèle, plus il s´approche de 1, plus le modèle est "pertinent"). La régression montre que chaque point de spread améliore notre note de 0,09 (rappel : pour être dégradé, il faut une baisse d’1 point).

Fig 3. Resultat de la Regression 



Armés de ce coefficient, nous pouvons estimer quelle est la note de la France « pricée » par le marché. Dans le tableau suivant (Fig 4), la colonne fitted estime cette note, tandis que la colonne delta mesure l’écart entre la note Fitch et la note cohérente avec les prix de marché. Nous voyons que la France devrait perdre 2 notes supplémentaires (-2,10), c’est-à-dire se retrouver en A-. Cela ne veut pas dire que Fitch va effectivement nous dégrader en A-, la déterioration anticipée par les marchés doit premiérement être confirmée par les données macro-économiques réelles (dans le cas contraire, on serait uniquement dans un stress de marché lié à l´incertitude). De plus, même en cas de confirmation, à cause nature de l´action des agences de notation et de leur modéle en moyenne mobile centrée, cela prendrait plusieurs années pour atteindre ce A-. Nous serions alors parmi les cancres de la zone euro car dans le même temps, l´Espagne et la Gréce devrait être rééavaluées et avoir une note supérieure à la France.

Fig 4. Resultats des simulations de note avec la regression


Note au lecteur : J’espère que vous avez apprécié ce billet et qu’il est accessible aux non-économistes. L’idée de ce blog est de produire des enquêtes de qualité, qui prennent un certain temps en matière de recherche documentaires et de travail statistques. Afin de pouvoir consacrer plus de temps à cette écriture, notamment aux problèmes de l’euro (qui sont extrêmement complexes), j’ai décidé d’ouvrir un financement participatif sur Tipee. Le fonctionnement est libre : vous êtes les bienvenus pour donner ce que vous souhaitez.


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