La "Crise" en Argentine - Episode 1: Bug monétaire
Il est difficile d’analyser les événements actuels en Argentine sans mentionner la crise monétaire qui a éclaté à partir de mi-juillet. Le gouvernement a tenté d’opérer une transition majeure dans le modus operandi de la Banque centrale pour le rapprocher des principes économiques autrichiens. L’objectif était de rendre le taux d’intérêt endogène, c’est-à-dire qu’il ne serait plus déterminé par la Banque centrale, mais directement par le marché, en fonction de l’offre et de la demande de liquidité. La Banque centrale n’interviendrait plus principalement par la fixation du taux d’intérêt, mais en modulant le taux de réserves des banques et via les opérations d’open market, notamment par des interventions bihebdomadaires pour retirer (ou ajouter) de la liquidité.
Cette phase, dite « phase 3.5 » de la réforme monétaire, intervenait dans un contexte plus large où le gouvernement argentin suivait un cadre d’actions dans lequel l’agrégat M2 « transactionnel » servait de nouvelle ancre à la politique monétaire.
De plus, l’Argentine avait introduit en avril 2025 un régime de change mixte, plus flexible que le crawling peg antérieur, qui permettait au peso de fluctuer dans une fourchette mobile elargie La Banque centrale d’Argentine (BCRA) intervenant si la valeur du peso devait atteindre les limites de 1 000 ou 1 400 pesos pour un dollar, la fourchette s’élargissant de 1 % par mois. Dans ce un contexte oú le taux de change effectif réel avait atteint sa value la plis forte depuis 2015, la libéralisation provoquait une forte pression à la baisse sur le taux de change (note de l´auteur : je pense rédiger un article "épisode 0" sur la question)
Fig 1. Taux de change effective réel du Peso
Dans sa revue de l’économie argentine, le FMI expliquait que ce type de système (ciblant un agrégat monétaire) présente l’avantage de la simplicité opérationnelle et constitue donc un choix tout à fait valable pour les banques centrales souhaitant construire une crédibilité dans un environnement de très forte inflation. Toutefois, le même FMI alertait que ces expériences provoquent une volatilité excessive des taux d’intérêt (voir Fig2) puisque ceux-ci sont alors déterminés par les conditions de marché et non plus décidés par la banque centrale.
Fig 2. Volatilité des taux d´intérêts en Urguay durant l´expérience de ciblage d´aggrégat monétaire.
Afin de poursuivre sa transition vers les taux d´interêts endogènes, la banque centrale a décidé de faire disparaitres les titres obligataires LEFI - le principal outil de politique monétaire (des titres obligataires à 1 jour détenus uniquement par les banques), ceux-ci représentant alors 46 % de la masse monétaire. Ainsi, la Banque Centrale pourrait se focaliser sur la gestion de la liquidité plutôt que de devoir se préoccuper de fixer le taux d’intérêt rémunérant les LEFI.
L’idée était que les banques devraient migrer vers les Lecap, des titres obligataires à court terme mais avec une maturité sensiblement plus longue (autur de 30 jours). Il semblerait que les difficultés de ce mouvement aient été sous-estimées par le gouvernement, les Lecaps n’étant pas des substituts parfaits pour les LEFI. Les banques n’ont pas migré aussi facilement vers les Lecap, qu´imaginé laissant un énorme excès de liquidité sur le marché. Cet excès de liquidité avait provoqué une forte baisse des taux d´interêts, se repercutant en une importante depréciation de la monnaie argentine qui pouvait ménacer les gains du gouvernement Milei sur le front de l´inflation.
Fig 3. Forte Volatilité des taux overnight aprés les changements du systême monétaire
Le gouvernement a répondu à ce problème en durcissant considérablement sa politique monétaire afin d’éponger l’excès de pesos. En plus des enchères supplémentaires pour retirer la liquidité excédentaire, le gouvernement a augmenté le taux de réserves obligatoires des banques (Fig 4), durcissant leurs règles en obligeant les banques à s’y conformer de manière journalière et non plus mensuelle, comme cela était le cas auparavant. Il en a resulté un mouvement inverse d’explosion à la hausse des taux interêt et une politique monétaire super-restrictive. La Fig 3. montre bien ces deux phases avec une très forte volatilité des taux d’intérêt à la baisse puis à la hausse. Ces interventions de Juillet pour éponger la liquité ont coutées trés cher à l´Etat, ce dernier ayant payé un taux d´interêt supérieur de 14% à celui des défuntes LEFIs.
Fig 4. Taux de réserves obligatoires (en % des dépots en pesos)
Pour ne rien arranger, le gouvernement a été assez peu clair concernant la cible monétaire choisie. Après avoir mentionné l’agrégat monétaire M2 'transactionnel', le ministre Caputo est revenu sur ses propos en disant que cet agrégat n’était qu’un des signaux regardés par la banque centrale, mais ne constituait pas la cible formelle. Celle-ci étant la base monétaire élargie (base monétaire traditionnelle augmentée des passifs monétaires rémunérés et des dépôts en pesos du Trésor auprès de la banque centrale), indicateur globalement stable Juin 2024 comme nous pouvons le voir sur le graphique 3 (sauf en avril 2025 avec le transfert au Trésor des profits de la Banque Centrale).
Fig 5. Base Monétaire elargie (ARStn)
En guise de conclusion pour cet article, on pourrait dire que l’opération pratiquée par le gouvernement était à haut risque et n’a pas forcément été menée avec beaucoup de prudence, sans doute mal préparée et avec des claires lacunes de communication entre le gouvernement et les institutions financières. Les analystes de la Banque BTG, qui me fournissent leurs rapports, expliquent que le gouvernement argentin a tenté de répondre à un problème qui n’existait pas et porte une certaine responsabilité dans ces crises monétaires. De plus, le gouvernement a été lent à réagir et a plus répondu avec excès à l´accumulation de liquidité plutôt que de régler les problèmes structurels (~ différences Lecaps ~Lefis).
Cet article a été assez technique mais il était nécessaire de planter le décor. En effet, la crise de Juillet/Août a provoqué une forte pression bassière sur le peso venant s'ajouter à la baisse post flexibilisation du taux de change (Fig 6), bien avant les problèmes liées à l´incertitude post-élection de Buenos Aires.
Fig 6. Taux de change ARS/USD
De plus, le durcissement considérable de la politique monétaire ne pouvait pas ne pas avoir d’effets sur l’économie réelle, à travers de puissantes pressions récessives. C’est ce que nous verrons dans le prochain épisode de cette série.
Note au lecteur : J’espère que vous avez apprécié ce billet et qu’il est accessible aux non-économistes. L’idée de ce blog est de produire des enquêtes de qualité, qui prennent un certain temps en matière de recherche documentaires et de travail statistiques. Afin de pouvoir consacrer plus de temps à cette écriture, notamment aux problèmes de l’euro (qui sont extrêmement complexes), j’ai décidé d’ouvrir un financement participatif sur Tipee et sur Buy Me a Coffee . Le fonctionnement est libre : vous êtes les bienvenus pour donner ce que vous souhaitez.
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