Tensions sur le marché monétaire US
En 2008, avec la mise en place de politiques monétaires non conventionnelles, la Réserve fédérale a opéré une transition d´un régime de réserves bancaires rares vers un régime de réserves bancaires amples puis abondantes. Le premier étant caractérisé par des taux d’intérêt sensibles aux variations de l’offre et de la demande de réserves, obligeant la banque centrale à ajuster regulièrement la liquidité par le biais d’opérations d´Open Market. Dans le second (puis troisième) régime, les taux d’intérêt sont administrés et restent confinés à l´intérieur du corridor monétaire.
Avec le début du Quantitative Tightening (QT), la Fed a commencé à réduire son bilan, diminuant ainsi les réserves disponibles pour les banques. L’objectif de la Fed étant de passer d’un système où les réserves sont abondantes à un niveau légèrement supérieur au minimum nécessaire pour maintenir un régime de réserves amples.
En termes économiques, la Fed cherche à atteindre un point où l’élasticité entre les réserves et les taux d’intérêt — en particulier les spreads entre le IORB (Interest on Reserve Balances) et les taux du marché monétaires — deviennent légèrement négatives. La Fed de New York a mis à disposition un outil pour suivre l´elasticité de manière mensuelle (Fig.1 ).
Fig 1. Elasticité de la demande pour les reserves bancaires.
Il existe une grande incertitude autour du nouveau niveau de réserves qui est recherché par la Fed. À titre d’exemple, une note publiée par la Fed en juillet 2025 évoquait 65 % du volume des transactions Fedwire (soit environ 3 000 milliards de dollars), tandis que Christophe J. Waller, gouverneur de la Fed de Dallas, a mentionné 9 % du PIB dans undiscours prononcé le même mois.
Le QT consiste dans la réduction des « securities held outright » (titres détenus directement). Au début du processus, cette baisse a en grande partie été compensée par la diminution des opérations de reverse repo (O/N RRP). La liquidité « stockée » dans le reverse repo s’est progressivement deversée, atténuant partiellement l’impact du QT, comme le montre le Graphique 2.
Fig 2. Securities detenues par la Fed et Reverse Repo.
Vers la seconde moitié de 2024, l’effet compensatoire de la baisse du O/N RRP a cessé d’avoir une contribution significative. Le stock a été presque réduit à zéro en octobre 2025, ce qui a mis fin à l’effet d’atténuation du QT. Dès lors, cette situation a commencé à provoquer une baisse des réserves bancaires disponibles, mesurées en pourcentage des actifs des banques (voir Figure 3).
Fig 3. Securities detenues par la Fed en % des actifs des Banques Commerciales.
Au cours de l’année 2025, un facteur a progressivement consommé une part croissante de l’offre (déjà en déclin) de réserves bancaires : le compte général du Trésor américain (Treasury General Account, TGA). Le gouvernement américain a cherché à reconstituer son matelas de liquidité pour atteindre un objectif initial de 850 milliards de dollars, un seuil qui a finalement été dépassé — le solde du TGA atteignant quasiment 1 000 milliards de dollars lors de la semaine du 31 octobre 2025 (Fig 4), en partie en raison du shutdown .
Fig 4. Treasury General Account
En effet, tant que le shutdown persiste, le gouvernement continue de percevoir les impôts, tandis qu’une bonne partie des dépenses fédérales reste gelées. Ainsi, le montant immobilisé dans le TGA augmente chaque semaine. Il est important de souligner que chaque dollar déposé dans le TGA est un dollar de réserve en moins disponible sur le marché monétaire. Tant que le shutdown durera, la pression sur la liquidité américaine devrait se maintenir. À l’inverse, la fin du shutdown devrait entraîner une hausse significative de la liquidité.
Dans cette situation de « double pression » sur le niveau des réserve, des tensions ont commencées à apparaître sur les taux d’intérêt américains. Les spreads sur le marché monétaire — notamment le SOFR/IORB et TGCR/IORB (les Fed Funds sont dominés par des acteurs quasi publics comme le FHLB et sont moins pertinents pour analyser les conditions de macrché) sont sous pression, sortant du corridor monétaire. La Fed perd ainsi — de manière modérée — le contrôle sur les taux d’intérêt.
Fig 5. IORB e SOFR.
La situation sur le marché a déjà eu un impact sur la politique monétaire. Jerome Powell a reconnu que ces évenements ont acceleré la fin du Quantitative Tightening (QT), décision prise lors de la réunion d’octobre. La situation reste difficile à évaluer, beaucoup d´analyse alarmiste sur le sujet semblent oublier que 1 - il y aura un afflux de liquidité importante avec la fin du Shutdown. 2 - Le pic des tensions autour du 30/31 octobre étant en partie à un effet "fin du mois".
Une répétition de la crise du repo de 2019 ne semble pas la plus
probable, car la Fed dispose désormais d’outils pour limiter les
pics excessifs des taux monétaires, comme le Standing Repo
Facility. Il est encore trop tôt pour en mesurer toutes les
conséquences ; il faudra observer les effets de la fin du shutdown
et du QT qui devraient améliorer de la situation de manière substantielle.
Cependant, ces tensions pourraient relancer le
débat sur l’expansion du bilan de la Fed en 2026. À long
terme, on peut s’attendre à ce que la demande de réserves
augmente en ligne avec le PIB nominal — dans ce
cas, la Fed devra, d’une manière ou d’une autre, augmenter
l’offre de réserves.
PS : Le tableau H.4.1 montre, semaine après semaine, l’offre de réserves bancaires, en déduisant les facteurs non bancaires qui peuvent en absorber une partie (comme le TGA). Les lignes à surveiller sont notamment :
« Security Held Outright » (portefeuille de titres détenus par la Fed) - qui reflète l’impact du QT ;
« Repurchase agreements » les opérations de réescompte - qui montrent les interventions de la Fed pour fournir une liquidité aux banques
le TGA (Treasury General Account) - qui représente l’impact du gouvernement sur la liquidité.
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