Vers une double dégradation de la note de la France par DBRS ?
Après que l’agence de notation Fitch a dégradé la dette de la France vendredi 12 septembre, c’est au tour de l’agence DBRS/Morningstar de se prononcer sur la dette française. DBRS occupe une place particulière parmi les agences de notation: les observateurs de la politique monétaire européenne se souviennent qu’elle avait, grâce à une politique que l’on pourrait qualifier de plus « laxiste » (une étude publiée par le ministère de l´économie portugais ayant demontrée qu´il y avait un certain laxisme à l´époque) que celle des autres agences, été la dernière à maintenir la note de la dette portugaise au-dessus du niveau investment grade. Cela avait permis au pays de rester éligible au Quantitative Easing de la BCE. Ce « laxisme » de DBRS avait ainsi évité une nouvelle crise dans la zone euro, juste après la résolution de la crise grecque.
J’ai le souvenir d’un économiste portugais travaillant au FMI qui déclarait de manière réaliste à la RTP : « Avant, personne ne se préoccupait de DBRS. S’ils nous dégradaient, ils retourneraient dans l’anonymat. » (lien vers l’émission en portugais). Le rating de DBRS s’expliquait en partie par une croyance plus forte dans la solidité de l’euro et la volonté des institutions européennes de sauver l’euro, quoi qu’il en coûte.
Fig 1: Difference entre les notes de DBRS et des autres agences de notation pour le Portugal (2011-2017)
On retrouve des traces de cette “largesse” dans les notations actuelles de DBRS : la France y est notée AA (high), soit une note en dessous du AAA ,et 3 cran au-dessus de Fitch, 2 cran au-dessus de Moody’s et Standard & Poor’s. En analysant la dernière communication de DBRS, on relève certaines singularités qui, si elles étaient normalisées de manière adéquate, pourraient conduire à une dégradation de plus d’un cran lors de la revue de vendredi.
Il est nécessaire de s’arrêter un peu pour comprendre le système de notation de DBRS. L’agence suit une procédure de classification basée sur des notes sur 20 (avec une double échelle graduée en “mentions”) concernant 6 piliers différents (Fiscal Management and Policy, Debt and Liquidity, Economic Structure and Performance, Monetary Policy and Financial Stability,Balance of Payments et Political Environment), regroupant 24 variables. Les notes de 20 et 0 sont déterminées par la distance linéraire entre les bornes maximales et minimale spécifiques à chaque indicateur.
Fig 2: L´échelle de note de DBRS et les "mentions" correspondantes.
Point important : Contrairement à Fitch (voir l’article précédent), qui utilise des indicateurs en moyenne centrée sur 3 ans, DBRS emploie des moyennes mobiles plus longues (souvent 5 ou 10 ans). On comprend ainsi que le "retard" de DBRS trouve en grande partie son fondement dans une méthodologie moins réactive.
Fig 3: Echelle indicative des notes de DBRS.
Il serait un peu simpliste de penser que DBRS va (ou devrait) aligner sa notation avec celle de Fitch, S&P ou Moody’s vendredi, car les méthodologies ne sont pas comparables. Néanmoins, l’analyse des résultats de la revue de la note faite en mars par DBRS permet de comprendre certains biais qui, s’ils sont corrigés vendredi, pourraient exercer une forte pression sur la note de la France, déjà sous perspective négative.
Fig 4: Note et mentions de la France (DBRS, mars 2025)
Fig 5. Échelle de note DBRS et score de la France
Un des éléments de l’analyse de la note de la France frappe: nous avons 20/20 sur la question de l’environnement politique. Il n’est pas surprenant que nous ayons cette
(cela ne devrait pas changer en septembre 2025, car les ). Cependant, l’ajustement qualitatif, qui est censé prendre en compte "la capacité et la volonté d’un gouvernement de répondre aux défis à court et moyen terme, ainsi que les perspectives politiques et les risques associés", laisse inchangé ce 20/20. Une situation totalement en décalage avec la réalité française. Nous pouvons donc raisonnablement imaginer que le nouvel ajustement qualitatif ferait passer la note de ce pilier à Strong/Good (15-16,99) ou Strong (17-18,99), au lieu de "Very Strong" (19-20). L’impact maximal sur notre note finale serait de 4,1%.Les autres piliers devraient être largement inchangés (par exemple, le
) notamment du fait que DBRS devrait utiliser les prévisions du FMI qui datent de Avril 2025. tandis que le pillier "Debt and Liquidity" devrait voir sa note abaissée à 5.27.Fig 6 : Estimation de la nouvelle note de septembre concernant le pilier "Dette et Liquidité"
La conjonction de la baisse des deux piliers évoqués ferait tomber le score de la France à 72,39 Nous nous retrouverions dans la borne basse de l’intervalle A(high) – AA, la note la plus proche étant AA(low). Dans ces conditions, DBRS pourrait nous dégrader en AA(low),
. Cette pour la catégorie "Dette et Liquidité". Ce AA(low) ne serait pas absurde puisque cela alignerait DBRS avec les autres agences de notations.Disclaimer : Cette double dégradation est possible "mathématiquement", mais je ne parierais pas dessus.
Note : Dans une précédente estimation, j’ai calculé qu’il existait une possibilité de dégradation de trois note en utilisant les prévisions de la Commission européenne concernant la charge de la dette en % du PIB (plus récentes que celles du FMI).
Note au lecteur : J’espère que vous avez apprécié ce billet et qu’il est accessible aux non-économistes. L’idée de ce blog est de produire des enquêtes de qualité, qui prennent un certain temps en matière de recherche documentaires et de travail statistques. Afin de pouvoir consacrer plus de temps à cette écriture, notamment aux problèmes de l’euro (qui sont extrêmement complexes), j’ai décidé d’ouvrir un financement participatif sur Tipee et sur Buy Me a Coffee . Le fonctionnement est libre : vous êtes les bienvenus pour donner ce que vous souhaitez.
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