Impact de la TVA zéro sur l´alimentation + debunk d´Astères
Le 14 avril 2022, le cabinet Asterès – dirigé par l'économiste Nicolas Bouzou – publiait une étude très critique concernant une éventuelle baisse de la TVA sur les produits alimentaires. Ainsi, le cabinet évaluait que la mesure résulterait en un gain de pouvoir d'achat (ridicule) de seulement 13 euros par Français (Fig 1).
Fig 1 – Estimation de l´impact de la baisse de TVA sur l´alimentation selon
Asteres.
Source : Asteres
Cette proposition
étant une des principales mesures de Marine Le Pen puis de Jordan Bardella, la
note d'Asterès a été reprise par de nombreux médias et politiques (étant même
évoquée - sans être citée directement - lors du débat présidentiel d´entre-deux
tours), et plus, curieusement par des économistes.
Étant à l´époque chef
économiste d'un fond d'investissement, responsable de la recherche
macroéconomique et primé 3 années de suite comme étant parmi le Top 1 des
économistes prévisionnistes d'inflation au Brésil, cette étude m'est tout de
suite apparue comme suspecte.
En l'absence de
modélisation économétrique (l'estimation d'impact étant uniquement produite via
une simple multiplication entre le renoncement fiscal de l'État et un choix
arbitraire de pourcentage de baisse répercutée au consommateur), on pouvait
s'attendre à ce que la note d'Asterès se base sur un corpus substantiel
d'articles universitaires ou d'autres études comparables. Or, dans la première
version de la note, un seul article est cité et ne peut pas être considéré
comme pertinent.
En effet, Asterès a
choisi son coefficient de pass-through (pourcentage de la baisse de TVA
répercuté au consommateur) de 10 % en se basant sur une note publiée par l’Institut des Politiques Publiques. Cette note est au-dessus de tout soupçons
mais concerne un type de bien totalement différent du sujet d’étude d’Asteres
(la restauration un bien non essentiel avec une élasticité-prix plus faible que
les produits de première nécessité). Cette
citation relève donc d’un manque de rigueur qui est d’autant plus problématique
que c’est l’unique élément de la bibliographie.
En effet, le
pass-through sur les prix des services est beaucoup plus faible que sur les
produits alimentaires ou l'énergie (où la concurrence et la comparabilité des
produits poussent les prix vers le bas). Le choix de ne citer que cette étude
tend à totalement sous-estimer le pass-through, et donc le gain de pouvoir
d'achat pour le consommateur.
Cette première note avait été clairement rédigée à la
va-vite et/ou par un économiste qui ne semblait pas avoir de connaissance du
sujet et de l'état de la littérature (nous verrons cela un peu plus loin). Il en existe une seconde version (moins partagée par les médias) qui compléte sa
maigre bibliographie par une seconde étude qui vient multiplier par six (!) le
pass-through : il s'agit de l'expérience de la baisse de TVA en Allemagne en
2020.
Asterès mentionne alors ce scénario comme un scénario alternatif (dans le meilleur des cas) et inclut dans son analyse la possible baisse de TVA sur l'énergie. Encore une fois, cette note semble rédigée dans la précipitation, car en réalité, dans le bulletin de novembre 2020 de laBundesbank (la nouvelle source d´ Asterès), le pass-through n'est pas de 60% mais autour de 90%
Comme le lecteur pourra très simplement le constater dans le graphique
ci-dessous : le pass-through concernant la nourriture était de l'ordre de 90%
et non 60%, soit 50% de plus qu'annoncé par Asteres. Émettons comme hypothèse
la plus probable le fait qu´ Asterès n'a pas lu ses propres sources.
Fig 2 - Estimation du pass-through
par la Bundesbank lors des baisse de TVA de 2020
Pour aggraver le tout, de nombreux pays ont procédé à des
baisses de TVA sur l'alimentation et l'énergie au cours des dernières années.
La quasi-totalité des études d'impact disponibles
invalident totalement les estimations d'Asterès. J'ai pris le temps de recenser
les études publiées entre 2020 et 2025 à ce sujet dans le tableau ci-après :
les pass-through sont souvent proche de 100%, la moyenne étant d´environ 80% (Fig 3).
A cette liste, nous pouvons rajouter l´exemple Brésilien
de 2022. Aucun travail n´a été publié concernant cette expérience de baisse de
la taxe sur l´essence mais un examen des données concernant la composition des
prix à la pompe permet de constater une stabilité des marges et donc de conclure
que la baisse de taxe a été intégralement repassée au consommateur.
Fig 3 : Résumé de la littérature scientifique
et des études sur les épisodes récents de baisse de TVA sur la nourriture et
les carburants.
Bien sûr, les effets des baisses d'impôts sur la
consommation, l'inflation et le pouvoir d'achat ne sauraient se limiter à
l'impact de la baisse de TVA stricto sensu. En poussant le taux headline à la
baisse, la mesure permet d'attaquer l'inflation sous-jacente via deux canaux :
l'inertie (exemple : moins d'effet de second tour lié à la moindre
revalorisation du SMIC) et les anticipations (l'alimentation et les carburants
ayant une surreprésentation dans la formation des anticipations des ménages).
Ces effets de premier et de second tour sont absents de la politique des
chèques, trop souvent défendue par les économistes mais qui offre un retour –
baisse de l'inflation/argent dépensé égal à 0.
Une des choses qu'il est possible de constater, et que Asterès
n'a pas anticipée, est que les études les plus récentes montrent toutes un
pass-through important, proche de 100%. Une des explications possibles est que
lors des décennies passées, les consommateurs étaient peu concernés par
l'inflation. Depuis la crise d'inflation post-COVID, les consommateurs sont
beaucoup plus attentifs à ce problème et sont beaucoup plus exigeants dans la
recherche des prix les plus bas possibles. L'espace pour un pass-through
substantiellement inférieur à 100% est de devenu très limité.
J´espère que le lecteur est convaincu, devant les preuves
du caractère assez fragile et biaisé de la note d'Asteres. Il est regrettable
qu´elle ait été reprise sans discernement.
Addendum : impact de la TVA zéro proposée par
Marine Le Pen.
Pour commencer, il est important de définir quelles seraient les baisses de TVA opérées par le RN. Je me cantonnerais la baisse de TVA sur les biens de première nécessité. Lorsque, le détail du programme du RN sera annoncé, j´éditerai cet article pour y inclure l´impact d´autres baisses d´impôts si nécessaire.
Il est difficile de mesurer l'impact de cette mesure sans avoir la liste détaillée des produits qui seraient inclus. Je vais m´appuyer sur l’amendement déposé par le RN en 2023, qui proposait la suppression de la TVA sur les catégories de produits suivantes :
- Alimentation infantile ;
- Eau potable ;
- Beurres et huiles ;
- Laits et boissons végétales ;
- Sucres et miel ;
- Farines ;
- Œufs ;
- Pâtes alimentaires, pain, riz et pommes de terre ;
- Fruits et légumes frais ;
- Viandes, poissons et protéines végétales.
Les pondérations de ces items au sein de l´Indice des Prix au Consommateur Harmonisé Français (IPCH) sont resumées dans le tableau suivant. Le total represente 7,55% de l´Indice.
Fig 4. Pondération des biens de première nécessité visés par la TVA zéro.
Récemment, une étude publiée sur ce le cas portuguais, résumais trés bien mon approche sur le sujet des baisses de TVA sur l´alimentation. Le pass-through est trés important et s'approche de 100 % spécialement dans le cas où la baisse de TVA est faite avec une collaboration importante de la société civile (notamment les associations de consommateurs). Il existe donc un potentiel pour que le taux atteigne 100 % (voire plus dans de très rares cas) si le RN prépare cette mesure de manière très méthodique.
Pour mon estimation d´impact, contrairement
à Asteres, je ne me sens pas autorisé à prendre des libertés avec le consensus
scientifique et il n´y a pas de raisons objectives de choisir un taux different pour orienter les résultats de notre étude. J´ai donc choisi un taux moyen de 80,90% qui correspond à la moyenne des taux dans les
11 études du tableau 3 (les estimations concernant la nourriture)
Ce calcul simple, mais documenté, permet d'estimer un impact déflationniste de l'ordre de -0.34% (Fig 5). Cet impact augmenterait à -0,40% en cas de pass-through intégrale.
Fig 5: Resumé de l´impact
Note au lecteur : J’espère que vous avez apprécié ce billet et qu’il est accessible aux non-économistes. L’idée de ce blog est de produire des enquêtes de qualité, qui prennent un certain temps en matière de recherche documentaires et de travail statistques. Afin de pouvoir consacrer plus de temps à cette écriture, notamment aux problèmes de l’euro (qui sont extrêmement complexes), j’ai décidé d’ouvrir un financement participatif sur Tipee et sur Buy Me a Coffee . Le fonctionnement est libre : vous êtes les bienvenus pour donner ce que vous souhaitez.
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